Procès du double assassinat de Bastia-Poretta : « On a préféré allumer la flamme olympique et éteindre celle de la justice » (2024)

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ENTRETIEN. Après avoir été récusé par son client Jacques Mariani, dans le procès de l’affaire du double assassinat de l’aéroport de Bastia-Poretta, Me Yassine Maharsi a regagné les bancs de la défense à sa demande cette semaine. Il se confie au JDD sur ce procès hors norme à bien des égards.

Propos recueillis par Kristina Luzi , Mis à jour le

Procès du double assassinat de Bastia-Poretta: «On a préféré allumer la flamme olympique et éteindre celle de la justice» (1)

Le JDD. Dix jours après avoir quitté l’audience, récusé par votre client, vous avez regagné à sa demande les bancs de la défense, pour quelles raisons?

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Me Yassine Maharsi. Jacques Mariani avait récusé ses avocats, estimant qu’il ne devait pas participer – au même titre que ses conseils – à un procès contrefait. Et il avait raison. Mais après quelques jours de réflexion, dans le silence de sa cellule d’isolement, il a considéré que même une justice imparfaite pourrait reconnaître son innocence.

Il a donc redésigné ses avocats et a décidé de se battre contre un système, qu’il sait – et que l’on sait – parfois teinté d’artifices. En qualité d’auxiliaire de justice, j’estime que les droits de la défense ne sont pas assurés dans ce procès, mais surtout j’ai l’impression d’assurer une défense sans droits, puisque l’on maintient ce procès, peu important qu’il soit équitable.

Je ne veux pas être complice de cette justice, mais Jacques Mariani ne veut pas non plus être considéré comme un complice pour des faits qui ne le concernent pas. Ainsi, nous ne revenons pas sur notre position, mais nous maintenons la position d’un innocent. Ici, c’est plutôt la justice qui revient sur ses principes.

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Habituellement, les enquêteurs sont entendus au début de l’audience. N’était-ce pas primordial pour ce procès?

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Il était évidemment indispensable d’entendre les enquêteurs en début de procès, comme cela se fait habituellement, et notamment pour la préservation de l’oralité des débats, qui est le principe devant une cour d’assises. Les enquêteurs doivent contextualiser les faits et présenter le cadre général, afin que les jurés, notamment, puissent se forger une intime conviction et exercer leur office.

Le peu d’avocats présents dans la salle ne peuvent pas évoquer les procès-verbaux des enquêteurs tant qu’ils n’ont pas été entendus, c’est la règle. Partant, des témoins défilent à la barre – ou en visioconférence – et ils énoncent un récit, sans que l’on comprenne où les situer. Cela est très perturbant, pour tout le monde. Mais la cour fait comme si de rien n’était, ce qui est surprenant, singulier et incompréhensible.

«Le président de la cour d’assises a le pouvoir de contraindre les enquêteurs à venir plus tôt. Il ne l’a pas fait»

Pourquoi les ordres de passages ont-ils été inversés?

De ce que nous avons compris, les enquêteurs seront entendus à la fin, car ils auraient été contraints de prendre leurs vacances plus tôt; et ce, pour pouvoir être d’astreinte pendant les Jeux olympiques. C’est une honte.

Et surtout, c’est indigne de notre justice. Pourtant, le président de la cour d’assises a le pouvoir de contraindre les enquêteurs à venir plus tôt, ce qu’il n’a pas fait et ce que je ne comprends pas. Le message passé est terriblement inquiétant, puisque pour des raisons d’ego politiques – à savoir impressionner les autres pays avec des jeux – l’on décide de piétiner tous nos grands principes et d’insulter notre belle justice. Politiquement, l’on a préféré allumer la flamme olympique et éteindre celle de la justice, qui ici ne mérite aucune médaille.

Est-ce que de cette manière, les jurés sont mis en état de comprendre ce qu’ils vont juger?

Les jurés doivent être complètement perdus. Le box immense – agrandi pour l’occasion – est vide, à l’exception de Jacques Mariani. Les bancs de la défense sont vides, à l’exception de quelques avocats, les bancs de la partie civile sont vides, et certains témoignages sont vides de sens.

Le contexte général n’a toujours pas été explicité par les enquêteurs, plusieurs témoins ne viennent pas, plusieurs témoins se disent souffrants. Il règne dans la salle un «faux rythme» qui fait de ce procès, qui aurait pu être un grand procès, un «faux procès».

L’enquête a duré en tout 1637 jours, ce qui fait 4ans, 5 mois et 25 jours; et le dossier de procédure fait près de 50000 pages. Comment voulez-vous que les jurés comprennentsi les enquêteurs ne leur expliquent pas le contexte? Avec un tel procès, les jurés ne sont pas mis en état de comprendre, mais surtout ils sont mis à l’écart pour juger.

Ce procès est-il équitable?

Absolument pas. Mais pire encore, l’on tente de faire croire qu’il l’est. Ce procès ne devrait pas se tenir dans ces conditions.

«Ce procès est injuste pour ceux qui sont partis, mais également injuste pour ceux qui sont restés»

Selon vous, les autres accusés ont-ils eu raison de ne pas accepter d’emprunter à marche forcée le chemin d’un procès «injuste»?

Chacun est libre de sa défense. Je comprends parfaitement les différents choix opérés par les accusés. En ce qui concerne celui que je défends, Jacques Mariani, il est innocent et il considère – à juste titre – que son innocence sera plus intense que ce procès, qui n’en est pas un.

Pour Jacques Mariani, ça n’est pas une «première instance», comme le dirait le président de la cour, mais c’est un «instant de vérité». Et il refuse de laisser une sous-justice administrative passer à côté de son innocence. Ce procès est injuste pour ceux qui sont partis, mais également injuste pour ceux qui sont restés.

«Le maintien de ce procès démontre que la bureaucratie administrative est plus puissante que la justice authentique»

Lors des débats concernant un éventuel renvoi, le président de la cour a déclaré: «Nous ne sommes qu’en première instance». La qualité de la justice n’est-elle pas obligatoire même en première instance?

Cette phrase anodine, prononcée maladroitement à mon sens, est représentative des défaillances de la justice. Et il faut préciser que la qualité de la justice - à tous les stades du procès pénal - est plus qu’obligatoire, elle est un gage de la démocratie. C’est donc un absolu, en principe.

Mais en prononçant cette phrase, le président a laissé sous-entendre que la défense devait accepter un procès défectueux, car elle aurait la possibilité de contester le délibéré. C’est là un aveu de ce que le procès se déroule dans des conditions insolites, mais surtout irrégulières et ainsi, que le délibéré rendu pourrait être tout aussi insolite, voire irrégulier.

Les accusés ne peuvent pas entendre que rien ne serait grave, car ils auraient une voie de recours. C’est inaudible. Il n’y a rien de plus grave, pour des présumés innocents, que de ne pas pouvoir exercer les droits de la défense de manière effective, et surtout avec de tels enjeux. Nous vivons donc un sous-procès. Les accusés méritent mieux, mais ils subissent, parce que les contingences administratives de ce procès - qui coûte cher - sont plus importantes que l’efficacité de la justice. Et le maintien de ce procès démontre que la bureaucratie administrative est plus puissante que la justice authentique. C’est regrettable.

Malgré ce contexte dégradé, le procès se poursuit. Un verdict sera rendu. N’avez-vous pas le sentiment d’avoir perdu le bras de fer qui vous opposait aux magistrats de la cour d’assises d’Aix-en-Provence?

Nous ne sommes pas dans un rapport de force, mais nous sommes dans un rapport de droit. L’on ne peut pas vraiment parler de bras de fer, mais plutôt de balance de la justice. Et il est évident que cette balance est aujourd’hui totalement déséquilibrée. Mais les accusés, présumés innocents, subissent cette situation et ils n’ont pas le choix. C’est donc un combat à armes inégales que nous menons. Nous ferons avec.

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